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Le spectre auteurices "architectes" et "jardinièr.es"

15 décembre 2022

Dans la communauté d’écriture, le terme « auteurice architecte » désigne d’un côté les auteurices qui planifient leur roman avant de l’écrire, tandis que le terme « auteurice jardinier.e » désigne celleux qui écrivent et construisent leur récit au fil de l’écriture.

Ces deux termes sont assez extrêmes, très binaires et sont de plus en plus nuancés, ce que j’apprécie beaucoup, car pour moi, ils noient le fait qu’en réalité, la façon dont on écrit est un spectre. Je ne me considère pas comme architecte, ni comme jardinière. Aujourd’hui, je vous partage mon parcours d’écriture, le spectre sur lequel je navigue et comment j’ai découvert et construit ma méthode.

1. Premiers pas d’écriture

Quand j’avais 12 ans, j’ai commencé à écrire mes premiers jets « sérieux » (bon, j’avais 12 ans, tout est relatif, mais disons que c’était des histoires que je voulais raconter pour moi et pas pour un devoir d’école), je ne savais pas comment faire pour écrire un roman. Mais sans méthode, j’ai enchaîné les premiers chapitres de premier jet sans arriver à aller plus loin. Je me disais juste que je n’avais pas encore trouvé « la bonne histoire ».

Puis, en 2014, quand j’avais 19 ans, j’ai écrit mon premier jet complet : c’était une histoire de coming-out queer dans laquelle j’ai versé beaucoup de moi et c’est ce qui m’a permis d’arriver au bout de ce récit. A nouveau, je n’ai rien planifié, car je n’avais pas vraiment conscience que c’était possible de faire ça : je me suis lancée comme ça, au fil de la plume et je me suis laissée porter par mon envie d’écrire et de découvrir qui j’étais.

Ce premier jet complété, j’ai ensuite eu une nouvelle idée de roman : je connaissais le début et la fin, donc je me suis mise à écrire, sans planification, comme le précédent. Sauf que là, le calvaire : passé le début, l’acte un que je voulais écrire, chaque chapitre était une souffrance à écrire, je ne savais pas où aller avec l’histoire, j’étais perdue et je procrastinais l’écriture. Je me mettais devant mon écran pendant des heures, à angoisser sur ce que je devais écrire et à trouver toutes les distractions possibles pour ne pas écrire.

A l’époque, je publiais les chapitres que j’écrivais au fur et à mesure et je ne voulais pas interrompre l’histoire et « décevoir » les personnes qui me lisaient. Alors je me suis forcée à écrire et à terminer. Ça m’a pris plus d’un an, un an à me mettre tous les jours à mon clavier et à regarder ma page blanche, la boule au ventre. Avec le recul, j’ai compris ce qui n’allait pas : contrairement au projet de coming-out queer, dans lequel j’avais surtout besoin d’écrire pour me découvrir, ce projet-là ne me ressemblait pas et il n’y avait pas beaucoup de moi dedans et laisser libre court à mes mots ne fonctionnait pas.

Et là j’ai fait des recherches et j’ai mis le doigt là-dessus : on pouvait planifier une histoire et ça pouvait être bien que j’essaie. Peu de temps après, j’ai été retenue pour l’école de cinéma et d’écriture de scénario dont j’avais passé les concours et j’ai vraiment découvert la planification.

2. La découverte de la planification

A l’école de cinéma/écriture, toustes mes intervant.es prônaient la planification. Ateliers de construction de fiches personnages ultra détaillées, planification de dialogue, de squelette, d’intrigue, pendant deux ans, j’ai baigné dans tout ça. C’est de la théorie importante qui permet de comprendre les rouages de comment on raconte une histoire, comment on construit certains effets de narration,… Rien à redire là-dessus, c’était super intéressant à apprendre, à discuter et à tester.

Sauf qu’on a pas fait que « tester » : c’est devenu un standard. A chaque fois qu’on rendait un dossier pour un projet (et croyez-moi on en a rendu beaucoup), on nous demandait les mêmes éléments de planification détaillée : les fiches personnages, les messages et thématiques de l’œuvre, le squelette de l’intrigue selon la structure en trois actes (c’est-à-dire : situation initiale, incident déclencheur, climax de l’acte un, puis mid-climax pour l’acte 2, puis climax final et résolution).

Mais, quand je cherchais à écrire certaines de ces histoires par la suite, je me retrouvais toujours dans la même situation : l’impression de superficialité, de rythme qui ne convient pas, d’avoir des personnages plats. La planification qu’on nous demandait avant de passer à l’écriture m’apparaissait « stérile », détachée et je n’en tirai rien. Oui, j’avais découvert que j’avais besoin de planifier avant de me lancer dans l’écriture, que ça m’étais utile et que ça me retirait beaucoup de stress, mais cette méthode-là ne m’aidait pas et j’ai compris, après avoir terminé l’école, que maintenant que l’aspect « scolaire » et « évaluation académique » était derrière moi, qu’il fallait que je trouve MA méthode.

3. Ce qui me convient vraiment : ma méthode

Il y a eu une période de « trials and errors », donc des essais et des ratés, jusqu’à ce que je trouve ce qui me plaisait. J’ai essayé de tout planifier de A à Z pour Frontière Numérique en 2020, pour avoir tous les détails (et surmonter ma peur de « l’acte 2 »). Spoiler alert : ça n’a pas fonctionné. Je me suis retrouvée bloquée à un moment et dans l’incapacité de trouver comment surmonter ce blocage dans l’intrigue. Je ne voulais pas commencer à écrire le projet si je n’avais pas tout planifié, donc j’ai arrêté, en me disant que je n’étais pas encore prête à écrire.

En 2021, j’ai fait un truc que je n’avais jamais fait jusqu’alors : j’ai accepté d’avoir une planification imparfaite. J’ai la trame de l’histoire et je sentais qu’elle était superficielle, qu’elle manquait de profondeur, mais j’ai compris que si je n’écrivais pas, je ne me lancerai jamais et qu’il fallait que j’essaye.

Et là… la révélation ! Au fur et à mesure de l’écriture, j’apprenais à connaître mes personnages, je les voyais se révéler, changer parfois même, prendre des décisions qui correspondaient à leur logique et pas à celle que j’essayais de forcer sur eux. Des événements qui me bloquaient se sont révélés à moi au fur et à mesure et d’autres péripéties que je pensais okay m’ont posé problème et j’ai compris : je ne maîtrise pas tout à la planification car je m’imprègne de l’univers, des personnages et des enjeux au fur et à mesure que j’écris.

4. Le spectre

Je ne suis pas du tout une architecte : je ne peux pas tout planifier dans un roman car il y a mille et unes choses que je n’entrevois pas avec d’être dans une scène avec mes personnages et de me confronter à ce qu’il se passe.

Pour autant, si j’ai besoin de cette liberté de découvrir au fil de la plume, je ne suis pas jardinière non plus. Sans planification, je ne vais nulle part avec mon premier jet et ça me cause beaucoup d’angoisse.

Je suis, comme tout le monde finalement, constamment en train de me balader sur le spectre « architecte/jardnièr.e » : je planifie certaines choses, j’en découvre d’autres. J’aime me laisser surprendre, j’aime découvrir, mais je n’aime pas écrire sans savoir la direction dans laquelle je vais. Je crée un cadre pour l’histoire, puis je lui laisse la possibilité d’évoluer.

Pour la réécriture en revanche, je planifie avec beaucoup plus de précision car je connais désormais l’histoire et les personnages et ce que je veux raconter. C’est comme ça qu’écrire fait sens pour moi, et c’est comme ça que j’ai écrit Frontière Numérique et que je pense écrire The Witch Project : avec plus de souplesse sur le premier jet, la possibilité de découvrir les choses au fur et à mesure de l’écriture et plus de méthode et de planification à la réécriture. Pour autant, les éléments de planification que j’ai pour le premier jet de The Witch Project sont très différents de ceux que j’avais pour Frontière Numérique, car ce sont deux histoires différentes, avec leurs propres besoins. Je pense que c’est aussi ça la beauté de l’écriture : chaque projet est différent et nos méthodes fluctuent en fonction de ça.

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Morgane Luc

Hey, moi c’est Morgane, autrice et podcasteuse ! J’ai créé “Confidences d’écriture” pour partager ma passion pour l’écriture, la lecture et mes conseils en édition.

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