Interview podcast Sasha Laguillon Atypic Love par Morgane Luc

Ecrire un coming-out queer avec Sasha Laguillon

24 novembre 2022

1. Hello Sasha ! Est-ce que tu peux te présenter à nos auditeurices ?

Sasha : Hello, moi c’est Sasha, j’ai 23 ans. Je suis auteur et ingénieur !

2. Avant de commencer, dans quel univers fictif vis-tu en ce moment, quel livre es-tu en train de lire ?

Sasha : Alors j’ai terminé un roman hier, Sous un ciel d’or, qui se passe à la même époque de Gatsby le magnifique, c’est un roman young adult très axé romance.

3. Est-ce que tu peux nous pitcher ton roman Atypic Love : de quoi ça parle, chez qui est-il publié, où et comment on peut se le procurer ?

Sasha : C’est une romance queer et neuroatypique qui parle de l’acceptation de nos identités. Elle est publiée chez JS éditions et on peut se procurer le livre sur leur site, mais on peut aussi l’acheter sur tous les sites en ligne et en librairie, car il est aussi disponible dans le catalogue des libraires.

4. Atypic Love parle donc d’un coming-out non binaire, est-ce que tu peux définir ce terme, pour toutes les personnes qui ne le connaîtrait pas ?

Sasha : La non-binarité c’est une identité queer (aussi dit LGBT+) qui fait partie du spectre de la transidentité. C’est une identité qui signifie qu’on est ni tout à fait homme, ni tout à fait femme : on est en dehors de la binarité, tout simplement.

5. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire ce roman : comment tu as eu l’idée de cette histoire et est-ce que dès le début tu voulais écrire une découverte de l’identité non-binaire ?

Sasha : Je voulais absolument écrire un triangle amoureux car j’en avais lu beaucoup dans la romance mais à chaque fois il y avait les mêmes archétypes mis en scène et ça me frustrait. Du coup, en cherchant un peu comment je pourrais développer ça autrement, j’ai pensé à un personnage non-binaire ! Comme je venais de faire mon coming-out non-binaire et que c’était un sujet dont je n’avais pas beaucoup entendu parlé avant dans les livres, c’était l’occasion pour moi d’exprimer pas mal de choses et de retranscrire une partie de mon expérience par rapport à mes questionnements sur mon genre.

Je voulais vraiment avoir un univers idéalisé et doux : toutes les histoires trans que j’avais lues jusque-là étaient très « dans le pathos », avec des personnages trans et des entourages qui souffrent et je n’avais pas envie de ça. On peut être heureux.se en étant trans et je voulais le mettre en lumière !

6. Pourquoi est-ce que c’était important pour toi en tant qu’auteurice queer d’écrire ce roman et qu’est-ce que tu veux transmettre comme message avec ce récit ?

Sasha : Le but c’était de faire une histoire qui mêlait sensibilisation pour les personnes qui ne sont pas queers et roman doudou pour les personnes concernées ou en questionnement. Je voulais quelque chose bienveillant qui pouvait apprendre des choses. Je voulais aussi montrer que la communauté queer n’est pas un monolithe, qu’il y a beaucoup d’identités et de vécus différents même si dans le roman je me concentre sur un seul vécu, celui d’Eden, le personnage principal. Certaines personnes peuvent se retrouver dans ce vécu, d’autre non, mais le but c’était de combiner ces aspects et d’avoir beaucoup de bienveillance.

Il y a dans le roman une association queer qui sert de point d’entrée aux personnes qui ne connaissent pas trop la communauté LGBT+, et au moment où j’ai écrit le roman, ça m’a beaucoup aidé aussi car j’avais besoin de m’immerger dans les concepts et les définitions queers pour mieux me connaître et mieux connaître la communauté.

7. L’identité queer est importante pour toi : comment l’explores-tu et la mets-tu en avant dans tes autres projets ? Est-ce que tu dirais que tes romans sont engagés par rapport à ce sujet ?

Sasha : Depuis Atypic Love, je n’écris quasiment que des personnages queers. On a trop vu et lu d’histoires sur les personnes cisgenres et hétéro (cisgenre : les personnes dont l’identité de genre correspond au genre qui leur a été assigné à la naissance) et j’ai vraiment envie d’avoir plein de personnages queers pour raconter de nouvelles histoires, présenter des identités différentes, montrer qu’on est là aussi, et qu’on est nombreux.ses à être queer…

A l’origine, je n’avais pas la volonté de faire de mes romans des œuvres « engagées » mais je me rends compte que le simple fait d’écrire des personnages queers est un engagement politique, donc on va dire que oui. En tant que personnes queers, le simple fait qu’on existe et qu’on écrive des personnages qui nous ressemblent devient très vite politique, donc je ne peux pas nier cet aspect.

8. Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire Atypic Love ? Comment s’est passée la phase de soumissions et la phase de publication ?

Sasha : Je l’ai écrit fin 2019 et il m’a fallu trois mois pour écrire le premier et trois mois de réécriture après la bêta-lecture. Ensuite, je l’ai soumis en ME et ça a été un peu compliqué : je voulais trouver une maison qui avait un minimum d’engagement queer et au moment où j’ai fait mes soumissions, c’était très peu mis en avant. Maintenant, j’ai l’impression que plus de ME mettent en avant leur volonté d’inclusivité, mais il y a deux ou trois ans, c’était encore difficile de trouver ces ME !

J’ai envoyé le roman à 23 maisons d’édition en deux vagues de soumissions différentes : j’ai reçu une réponse positive un an plus tard, et j’ai signé mon contrat en 2021. J’ai eu de la chance car j’ai signé dans une petite ME avec des éditeurices autistes elleux aussi ; le roman parle de neuroatypie et notamment de l’autisme, au travers du personnage de Noah, le love interest d’Eden. A l’époque, j’avais fait pas mal de recherches pour écrire ce personnage respectueusement avant de me rendre compte qu’il me ressemblait beaucoup et de m’inspirer de mon vécu. J’ai découvert que j’étais autiste plus tard ! L’équipe de la ME s’est beaucoup retrouvée dans ma vision et mon expérience de l’autisme et ça a beaucoup aidé : le processus éditorial a été très clair, très cadré, et mon texte a vraiment été respecté, c’était un plaisir !

9. Ton roman a d’ailleurs été « réédité » dans une version illustrée, est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Sasha : Ce qu’il s’est passé c’est que deux des éditeurices de la maison d’édition ont voulu changer de travail, et la ME a fermé. L’éditrice qui restait avait aussi sa propre maison d’édition et elle a voulu reprendre mon projet. Il y a eu très peu de changements : le texte est resté le même, la couverture aussi, donc j’ai resigné un contrat. Mais dans les collections de sa ME, toute la jeunesse, y compris le young adult, était illustré. Elle m’a présenté une illustratrice et les idées d’illustrations qu’elle voulait intégrer au livre. J’ai beaucoup échangé avec l’illustratrice pour lui fournir les infos dont on avait besoin, puis j’ai validé les croquis, puis la nouvelle version du roman avec les dessins.

On peut donc trouver neuf illustrations des personnages dans le roman : les portraits des personnages principaux et à la fin il y a une représentation du couple et iels sont trop mignons ! Je n’avais jamais pensé avoir une version illustrée de ce roman, surtout car c’est un contemporain : dans la fantasy, les dessins peuvent être très utiles et importants pour représenter certaines choses, mais pour un contemporain, je n’avais pas pensé avoir cette opportunité !

10. Est-ce que tu dirais qu’il est plus facile de porter des projets queers en ME maintenant, ou que c’est toujours quelque chose de compliqué ?

Sasha : C’est une question particulière : c’est très rare de trouver des ME qui en ont vraiment quelque chose à faire, à part celles qui sont vraiment engagées sur le sujet et qui le revendiquent. Les entreprises ont compris que les romans LGBT se vendent très bien et que ça leur permet aussi d’avoir une bonne image publique, car la communauté queer est très investie dans la littérature. Du coup, on se retrouve avec des ME qui veulent bien publier quelques romans queers, mais pas beaucoup : c’est plus pour la notoriété et l’image qu’un véritable intérêt engagé. On m’a déjà dit dans une lettre de refus qu’un roman sur la non-binarité était déjà prévu dans le planning de parution de l’année et que du coup on ne pouvait pas en publier un deuxième. A croire que les romans sur la non-binarité courent les rues !

Les ME publient aussi beaucoup de romans queers qui sont des traductions : ce sont des romans attendus, déjà plébiscités par les lecteurices, donc les risques sont moindres. En tant qu’auteurices français.es, ça rend les choses encore plus difficile ! Pourtant, certain.es écrivain.es francophones queers sont très populaires : je pense notamment à Cordélia.

11. Tu fais de la lecture sensible sur des thématiques liées à la non-binarité et la transidentité : comment travailles-tu en lecture sensible ?

Sasha : Je travaille sur toutes les thématiques queers en général avec une prédilection évidemment pour les sujets qui me touchent donc bisexualité, asexualité, transidentité et la non-binarité et aussi sur les thématiques autour de la neuroatypie de manière général avec là aussi une prédilection pour l’autisme et le TDAH (trouble du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité).

Il peut m’arriver de faire des remarques sur d’autres sujets en lecture sensible, mais ça va plus être des points d’alertes et des invitations à se renseigner auprès de personnes concernées, à faire appel à un.e lecteurice sensible spécialisé.e sur le sujet,… C’est important pour moi qu’en tant que lecteurices sensibles on ne se place pas comme quelqu’un qui sait tout, même quand les sujets nous concernent. On reste une seule personne, avec nos connaissances, notre sensibilité notre vécu, et nos biais aussi ! Quand on travaille avec un.e auteurice, il y a plein de paramètres à prendre en compte pour lui permettre de transmettre son histoire tout en s’assurant d’écrire une représentation respectueuse. La lecture sensible c’est beaucoup de réflexion et de discussion aussi pour trouver la représentation la plus juste !

12. Quels sont les tropes et idées préconçues sur les personnages trans ou non-binaires que tu ne veux plus voir ?

Sasha : Pour les tropes concernant les personnages non-binaires, on a si peu de représentation que je n’en ai pas qui me viennent en tête, par contre pour les personnages trans, j’en ai deux :

  • la souffrance trans : c’est encore dur aujourd’hui de trouver des représentations réalistes qui sont aussi douces et bienveillantes. Pour moi ce n’est pas une souffrance au quotidien d’être trans, et ça ne l’est pas pour la plupart des gens. J’aimerais bien voir plus souvent dans la littérature des personnages trans heureux,
  • les récits centrés sur la transition : j’ai tendance à écrire des personnages qui ne transitionnent pas ou peu. Je raconte peu les expériences médicales car ce n’est pas mon parcours mais je trouve aussi qu’on ne parle « que » de ça. La transidentité des femmes trans par exemple est super médicalisées et tourne autour des traitements qu’elles vont suivre, des opérations qu’elles vont faire,… alors que ça ne devrait pas. Les personnes non-binaires peuvent transitionner, certaines le font, d’autres non, mais on a toustes des rapports différents à la transition et il n’y a pas une seule manière de transitionner, c’est important d’en prendre conscience !

13. Est-ce que tu as un mot de la fin, quelques conseils à partager pour écrire de façon respectueuse des personnages queers, particulièrement trans non binaires ?

Sasha : N’ayez pas peur d’écrire des personnages queers et trans. Tout est facilement accessible sur internet et ça vous permettra de trouver les ressources et les personnes prêtes à vous répondre qui pourront vous aider. On peut avoir peur de mal faire, mais en tant que lecteurices sensibles, on sait que vous pouvez faire des maladresses mais que vos intentions sont bonnes. Du moment que vous êtes respectueux.ses, ça ne peut que bien se passer.

Vous pouvez retrouver Sasha sur instagram, sur son site internet et découvrir son roman Atypic Love

Morgane Luc script doctor et lectrice sensible

Morgane Luc

Hey, moi c’est Morgane, autrice et podcasteuse ! J’ai créé “Confidences d’écriture” pour partager ma passion pour l’écriture, la lecture et mes conseils en édition.

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