Aïssa interview podcast écriture identité métissage

Se comprendre et se trouver gâce à l'écriture avec Aïssa

10 novembre 2022

1. Hello Aïssa ! Est-ce que tu peux te présenter à nos auditeurices ?

Aïssa : Salut ! Je m’appelle Aïssa, j’ai 25 ans, je suis franco-sénégalaise et j’ai grandi à Paris avec ma mère qui est française. J’ai fait un Master en géographie de l’environnement, ensuite j’ai beaucoup voyagé, je lis beaucoup et j’écris de manière récurrente depuis 2020. En ce moment, je suis en Espagne pour un volontariat et ça se passe super bien.
Récemment, j’ai posé le mot « nomade » sur mon mode de vie, car depuis 2018 je n’ai pas passé plus de huit mois au même endroit. Je n’ai pas encore placé le terme nomade sur l’écriture par contre, même si j’assume pleinement ces deux passions. J’essaie de m’inspirer des endroits où je suis et d’en tirer parti pour mes écrits.

2. Avant de commencer, dans quel univers fictif vis-tu en ce moment, quel livre es-tu en train de lire ?

Aïssa : En ce moment je lis Circé, de Madeline Miller, qui retrace le mythe de cette femme qui est moitié déesse moitié nymphe et qui a du mal à trouver sa place dans le monde en tant que métisse. C’est un mythe qui n’est pas très étudié ou valorisé dans l’éducation, mais qui est très transversal !

3. Est-ce que tu peux nous pitcher le projet sur lequel tu travailles en ce moment ? Où en es-tu dans le processus d’écriture ? Tu aimes bien te lancer des défis d’écriture, je serai curieuse que tu nous en dises un peu plus sur ce que tu as prévu pour l’écriture de ce roman.

Aïssa : Je travailler sur un projet qui s’appelle « Le cube », qui se passe après une apocalypse d’alien et les humains ont été parqués dans des cubes qui reproduisent leurs pires cauchemars. Pour les aliens, c’est du divertissement, mais pour les humains, c’est une question de vie ou de mort. J’ai envie d’écrire ce projet pour le Nano, donc je planifie et je prépare le terrain ! Mon « défi d’écriture » pour ce projet c’est de tenter le Nano et de commencer par la création des personnages. D’habitude, mes personnages servent mon histoire : ils sont des archétypes qui fonctionnent avec l’univers et le récit que je veux raconter, alors que là je les ai développés d’abord pour voir où leur caractère allait me mener dans l’histoire.

En parallèle, je travaille aussi sur mes carnets de bord, que j’alimente au moins une fois par semaine. C’est un peu un journal intime, même si j’y amène un côté créatif : je partage quelques moments de ma vie, des thématiques importantes que je vis,… J’en poste un extrait sur instagram au moins une fois par semaine pour me motiver et concrétiser ce projet ! C’est un exercice super intéressant : je suis branchée imaginaire à fond, mais je suis contente de voir que je peux aussi écrire de la non-fiction !

4. On va parler un peu de ton parcours de vie si tu le veux bien : tu me disais que tu as été élevée dans un environnement avec peu de personnes racisées, est-ce que ça a été difficile pour toi en tant que personne métisse ?

Aïssa : Je précise que je vais parler de mon expérience personnelle (métissage franco-sénégalais) et que je n’ai pas la volonté de faire des généralisations. Pour moi, ça n’a pas été difficile, car c’est une révélation que j’ai eu sur le tard. Jusqu’à mes quinze ans, j’ai vécu entourée des personnes racisées, et suite à certains événements dans ma vie, j’ai changé du tout au tout d’environnement et je me suis retrouvée avec des personnes blanches. Ce n’est pas quelque chose dont j’ai pris conscience à l’époque. Je ne m’étais jamais vraiment considérée comme une personne racisée, c’est venu sur le tard.

En 2020, j’ai découvert deux sujets : les violences policières et l’appropriation culture, que je connaissais de nom mais sur lesquels je n’étais pas assez informée. J’ai plongé dans ces thématiques pendant les confinements et je me suis rendue compte que là où les personnes blanches pouvaient dire que ça ne les concernait pas et là où les personnes noires pouvaient dire que ça les concernait, moi, en tant que blanche et noire, je ne savais pas où me placer par rapport à ça. Je n’étais pas totalement noire mais aussi pas totalement blanche et parmi mes proches, personne ne comprenait ce que je vivais. Je me sentais seule dans ma situation.

En 2020, j’ai commencé à me chercher. Sur les conseils de ma mère, j’ai lu « Identité Meurtrière », de Amin Maalouf qui explique comment la culture blanche majoritaire a écrasé les autres cultures et comment ça a amené à de la violence. J’ai réalisé que les deux cultures que je partageais étaient très opposées et qu’il y avait eu beaucoup de violences autour de ça. C’est du coup difficile d’allier les deux. On est toujours un peu obligé.e de choisir une de ces deux identités, mais en tant que métisse (en tout cas, c’est quelque chose que je lie à mon métissage), on ne peut pas faire ce choix. On est les deux.

J’ai essayé d’embrasser un peu plus mon identité noire et après les confinements et j’ai commencé à parler à plein de gens de ces ressentis, pour savoir ce que d’autres personnes racisées pensaient et ressentaient par rapport à ça. Après ça, j’ai voulu aller au Sénégal et reconnecter avec cette partie de moi. C’était un voyage important qui m’a aidée à concrétiser une partie de mes pensées et de mon cheminement.

5. Est-ce que tu dirais que plus jeune tu as trouvé des œuvres auxquelles tu pouvais t’identifier ? Et maintenant ?

Aïssa : Quand j’étais jeune, je m’identifiais toujours au « personnage cool », Bloom dans les Winx, Daphné dans Scooby-Doo,… Je ne m’identifiais pas à des gens qui me ressemblaient. Je ne peux pas dire à quel point ça joue dans mes réflexions aujourd’hui sur mon identité, mais par contre c’est sûr que je n’ai pas eu beaucoup d’options de personnages noirs cools auxquels m’identifier !

J’ai eu une réflexion cette semaine à ce sujet : depuis très jeune, je suis très trigger par tout ce qui touche à la race. Les récits que l’on m’a proposé sur ces sujets étaient tristes, difficiles, emplis de traumas, et c’était quelque chose que je ne voulais pas voir. Dans le contemporain, ce sont des sujets très dramatisés, et déjà ça me fait de la peine, mais en plus je ne m’identifie pas à ça non plus car je ne l’ai pas vécu. C’est un sujet compliqué car si on dramatise trop ces sujets on rentre dans le cliché, mais ces expériences sont une réalité aussi et je l’entends. C’est une discussion dans laquelle il n’y a pas de bonne réponse ! Je pense que diversifier les représentations que l’on peut avoir des personnes racisées serait une bonne chose !

Maintenant, j’ai encore du mal à m’identifier aux personnages racisés, mais ça ne me pose pas trop de problème. Là par exemple, je m’identifie beaucoup à Circé et à son ressenti. Et je me rends compte que si je veux m’identifier à un personnage, il va falloir que je l’écrive moi-même !

6. Est-ce que tes romans t’aident pour apprendre à te connaître ? Est-ce que tu as envie de partager certaines expérience à travers tes écrits pour que d’autres lecteurices, petit.es ou grand.es puissent avoir l’impression qu’iels ne sont pas seul.es ?

Aïssa : Ce n’est pas une chose à laquelle je pense quand j’écris. J’écris plutôt des personnages qui sont des archétypes pour servir mon histoire, donc je ne me sers pas d’eux pour apprendre à me comprendre/connaître. Par contre, sur ma saga en pause, je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de personnages racisés dans cet univers et quand j’ai compris ça, j’ai travaillé sur mes biais pour me déconstruire, mais ce n’était pas quelque chose dirigé vers mon identité racisée.

Mais je pense quand-même que j’ai envie de transmettre certaines choses pour toucher d’autres personnes qui vivent la même chose que moi et qui peut-être se sentent seules ou incomprises.

7. Est-ce que tu centres tes romans sur des thématiques comme le racisme ou est-ce que tu n’as pas envie de t’axer là-dessus (car après tout être issu.e d’une communauté marginalisée ne nous oblige pas à produire du contenu « éducatif », on peut très bien ne pas mettre cette thématique là en avant) ? Quelles idées as-tu à cœur de transmettre ?

Aïssa : Un des personnages de mon roman « Le cube » est franco-sénégalaise, donc je la crée en pensant beaucoup à moi au niveau de ses origines, de sa vie familiale et de sa neuroatypie. Ce n’est pas quelque chose qui joue dans le roman, puisqu’il se centre surtout sur la psychologie des personnages et leurs cauchemars, mais ça m’émeut de partager certaines choses avec ce personnage.

Dans mes carnets de voyage en revanche je me livre plus sur ces sujets et ces questionnements : créer ce personnage dans « Le cube » et avoir les carnets de voyage me permettra peut-être d’avancer vers un contemporain qui témoignera de mon expérience et de ma vie, qui sait !

Mais sinon, pour le moment je ne me sens pas capable de parler de racisme, je ne me sens pas prête et pas assez renseignée. Dans mes romans, je suis surtout branchées relations humaines, qui sont des thématiques qui me touchent aussi mais sur lesquelles je me sens plus légitime de parler car j’y réfléchis depuis plus longtemps. Le métissage et le racisme sont des choses sur lesquelles je me déconstruis depuis deux ans, donc j’ai besoin de plus de temps.

8. Quels sont les tropes et idées préconçues sur les personnages noirs ou métisses que tu ne veux plus voir ?

Aïssa : Mmmh, c’est une question difficile… je vais élargir la question à la fiction en général (films, séries, livres) et je ne vais pas donner de trope car je ne m’y connais pas trop, mais je pense que dans la fiction en général, les personnages racisés manquent de complexité. Souvent on est dans des clichés de banlieue et de violence, ou à l’extrême opposé, on a les personnages noirs qui ont percé et sont assis sur un empire du rap et il n’y a pas vraiment de personnages entre ça : c’est tout ou rien.

9. Est-ce que tu as envie de proposer prochainement des services de lecture sensible pour aider les auteurices blanc.hes à écrire des représentations plus justes des personnages noirs ?

Aïssa : Je viens justement de rejoindre les volontaires de la maison d’édition YBY qui viennent de monter un comité bénévole de lecture sensible. J’avais un peu peur au niveau de la légitimité au début, car je risque de lire des personnages qui n’ont pas tout à fait la même expérience que la mienne, mais j’ai rejoint l’équipe car je suis motivée et je pense que c’est un super exercice pour continuer d’avancer sur ce chemin de déconstruction ! De là à en faire un travail par contre, il y a un pas, que je ne franchis pas pour le moment : je reste avant tout une lectrice, pas une professionnelle. 

10. Est-ce que tu as un mot de la fin, quelques conseils à partager pour écrire de façon respectueuse des personnages racisé.es ?

Aïssa : Pour les petits conseils, je pense que ce qui est important c’est de s’informer, de se remettre en question et de garder sa bonne volonté. On a toustes des biais, même moi, et il ne faut pas se voiler la face là-dessus.

C’est important de dénoncer le racisme dans la littérature, mais par contre je pense que ce n’est pas cool de vivre dans la peur, et d’avoir peur d’écrire des personnages racisés et de faire de la merde. Je me pose aussi toutes ces questions, ce n’est pas parce que je suis racisée que c’est facile pour moi : j’essaie d’utiliser les bons mots, je parle avec d’autres gens racisés, je me base sur mon vécu personnel,… C’est important de se renseigner, et je pense qu’on peut écrire des personnages qui ont des caractéristiques différentes de nous tant qu’on s’informe bien. Ça serait hyper dommage qu’on ne puisse écrire que ce qui nous représente.

 

Vous pouvez retrouver Aïssa sur instagram.

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Morgane Luc

Hey, moi c’est Morgane, autrice et podcasteuse ! J’ai créé “Confidences d’écriture” pour partager ma passion pour l’écriture, la lecture et mes conseils en édition.

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