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Le mythe du génie solitaire : pourquoi il faut le déconstruire

21 juillet 2022

Le mythe du génie solitaire, c’est quoi ?

C’est l’idée que l’auteurice s’enferme seul.e pour écrire, souvent dans un grenier ou une cave d’ailleurs, et que c’est ainsi qu’iel est touché.e par l’inspiration divine qui lui permettra d’écrire une histoire parfaite du premier coup. Hop, le travail est fait et surtout il est intouchable car chaque virgule reflète le génie de l’auteurice.

Mmmh, alors oui et non. Il y a deux problèmes avec le mythe du génie solitaire : le premier, le terme « génie », qui implique de l’écriture est un don inné, et pas quelque chose qui s’apprend (ce qui est terriblement faux) et le terme « solitaire », qui implique qu’un artiste travaille seul (ce qui est tout aussi faux).

Dans la réalité...

Non seulement écrire est un travail qui s’apprend (c’est en écrivant que l’on devient écrivain.e), mais c’est aussi quelque chose qui requiert l’intervention de plusieurs personnes, que ça soit au cours du processus d’écriture ou pendant le processus de publication.

Pendant l’écriture, il est important d’avoir des retours de lecteurices, ce qu’on appelle aujourd’hui plus communément la « bêta-lecture ». Si vous vous dites « Morgane, la bêta-lecture c’est le 21ème siècle, ça n’existait pas avant », détrompez-vous ! Certes, le terme n’est sans doute pas le même que celui employé au 18ème siècle, les auteurices de tous temps faisaient lire leurs écrits à leur cercle d’ami.es auteurices afin de recevoir leurs critiques et leurs ressentis. On est loin du mythe du génie solitaire (et c’est normal). D’ailleurs nos auteurices préféré.es et les plus grands succès sont aussi passés entre les mains de plusieurs relecteurices et d’éditeurices avant d’être publiés.

La société adore le génie solitaire...

Le soucis, c’est que notre société adore l’idée des personnes qui se construisent seules en « partant de rien » et accèdent à la réussite mondiale grâce à leur « génie » (on appelle ça « self-made men » et les « success story » en anglais). Steve Jobs ou Bill Gates en sont de parfaits exemples : on les dépeint comme étant partis d’un garage pour finir à la tête des entreprises considérées comme les plus influentes au monde. Avec ces histoires que la société encense, on nous pose donc les bases d’un idéal à atteindre : « voici ce qu’est le succès, voici ce que vous devez chercher à atteindre en tant qu’artiste, voici ce qui fera de vous un.e « vrai.e » artiste. ».

Ces attentes sociétales dressent un portrait complètement erroné de ce qu’est la création et décrédibilisent et dévalorisent les artistes. Ça empêche certain.es auteurices de soumettre leur manuscrit à la bêta-lecture par peur d’avoir l’air moins professionnel.le et cela donne aussi à certain.es l’impression que le premier jet de leur manuscrit est intouchable, le reflet de leur âme et de leur intention littéraire divine (je le tire d’une véritable anecdote de mon travail d’agente littéraire malheureusement).

Mon rapport avec ce mythe limitant

Aujourd’hui, j’avais envie de parler de ça car récemment, j’ai reçu mes retours de bêta-lecture qui ont été très positifs mais ont pointé du doigt, comme je m’y attendais, des pistes d’éclaircissement et d’amélioration qui vont sublimer l’œuvre encore plus. Malgré les compliments et la gratitude, ma première réaction a été de culpabiliser d’avoir présenter à mes relecteurices un manuscrit « imparfait ».

Je ne m’y attendais pas : je suis perfectionniste mais j’étais aussi parfaitement consciente que le manuscrit pouvait être amélioré. Après la réécriture que je venais de faire, je savais que j’avais trop la tête dans le guidon pour voir les zones d’ombres de l’œuvre.

Je suis également script doctor, donc je travaille avec des auteurices sur leur texte pour les soutenir dans l’aboutissement d’un manuscrit professionnel dont iels seront fièr.es. C’est ce qui me plaît le plus dans mon travail : permettre aux auteurices d’améliorer encore plus leurs œuvres et voir les étoiles dans leurs yeux une fois le travail accompli.

Et pourtant, quand j’ai reçu à mon tour les retours de mes relecteurices, je me suis sentie coupable de ne pas avoir écrit un manuscrit suffisamment « parfait ». En prenant du recul, j’ai réalisé que mon perfectionnisme se nourrissait beaucoup dans le mythe du génie solitaire…

Un retour en arrière...

Entre 2016 et 2018, j’étais en école de cinéma en section « auteure-scénariste » : j’écrivais tous les jours pendant des heures, et j’avais autour de moi un immense groupe d’ami.es et de professionnels avec qui je me prêtais régulièrement à l’exercice de la critique constructive.

Après la fin de cette formation, j’ai fait un « burn-out » créatif et je n’ai rien écrit pendant presque cinq ans… et qui dit « rien écrit » dit aussi « rien partagé », logique. J’ai donc perdu mon attitude positive et sereine face à la critique. C’est quelque chose que je veux retrouver.

(re)Commencer à déconstruire le mythe du génie solitaire : quelques pistes

  • choisir plusieurs relecteurices de confiance (et ne pas hésiter à travailler avec un.e pro si on en a les moyens : grâce à leur expérience dans le monde de l’édition, leurs retours très poussés font toute la différence),
  • savoir que même si on aime notre histoire c’est normal qu’il lui reste des défauts : nous ne sommes qu’un seul cerveau, il nous est impossible de penser à tout !
  • prendre du recul face aux retours et poser des questions : c’est important de ne pas ruminer sur une incompréhension,
  • ne pas se buter : les relecteurices sont là pour nous aider à sublimer le texte au maximum et non pas pour nous casser. La décision d’effectuer certains changements ou non nous appartient, mais si le retour des relecteurices est argumenté, c’est bien de ne pas se braquer et de les prendre en considération,
  • penser à son lectorat : on écrit souvent pour nous-mêmes, mais on écrit aussi pour les autres. Ouvrir les portes de cette histoire merveilleuse que l’on a inventée pour que d’autres personnes viennent s’y évader c’est un rêve et un objectif pour nombre d’auteurices. Et dans ces cas-là, le plus important n’est-il pas que vos lecteurices aient la meilleur expérience de lecture possible ?
Morgane Luc script doctor et lectrice sensible

Morgane Luc

Hey, moi c’est Morgane, autrice et podcasteuse ! J’ai créé “Confidences d’écriture” pour partager ma passion pour l’écriture, la lecture et mes conseils en édition.

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